Rêve-eillée?
Bonsoir à tou.te.s!
La nuit, je voyage. Tour à tour dans des univers féériques, drôles, enfantins, palpitants, surnaturels, effrayants ou complètement cauchemardesques... En 2019, j'ai décidé de transformer mes aventures nocturnes en nouvelles, en livres pour enfants et... en roman dans le cas de "Ma Bonne Etoile" ;-)
Ce soir, c'est une nouvelle que je vous partage. Je l'ai écrite à partir d'un cauchemar, qui m'a tourmentée une nuit d'Avril 2019. Je ne l'avais plus réellement relue depuis le jour où je l'avais couchée sur le papier, deux ans auparavant. Je me rends compte que mon style a évolué et c'est intéressant pour moi de pouvoir observer ce changement dont je n'avais pas conscience.
Et vous, qu'en pensez-vous? Dites-moi en commentaire si elle vous a plu, si vous avez eu peur, si vous avez détesté ou s'il vous arrive, à vous aussi, de vivre des histoires incroyables au pays du sommeil!
Le photo-montage est signé Xavier BERTOLOTTI (dont vous pouvez trouver les coordonnées dans la liste des sites amis). Un grand merci à lui <3
Bonne lecture,
Sarah.
Rêve-eillée?
Je ressens d'abord le froid. Il est de ceux qui irritent instantanément la peau et donnent la sensation d'être mordu de toutes parts. Il me fouette tour à tour le visage, le nez, les lèvres... jusqu'à me tirer d'un sommeil si profond que je n'ai aucun souvenir de m'être endormie.
J'ouvre péniblement les paupières et observe autour de moi. Je mets plusieurs secondes à comprendre où je me trouve : allongée sur un trottoir, mon vélo à terre à quelques mètres derrière moi. Je suis envahie par un mélange d'incrédulité et d'inquiétude. Qu'est-ce que je fais ici? Et d'ailleurs, où suis-je? Un regard circulaire autour de moi ne fait que confirmer mon absence totale de compréhension de la situation. Les maisons de ce quartier à la "Desperate Housewives" me sont inconnues.
Plus étrange encore, il ne semble pas y avoir âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Alors que je suis éveillée depuis plus de cinq minutes, je n'ai pas entendu une voiture passer. Pas un aboiement de chien. Pas une fenêtre qui claque, ni aucun éclat de voix. Pas un mouvement derrière les rideaux des habitations qui m'entourent.
Avant que la panique ne me gagne, je prends une grande inspiration et tente de me raisonner. Il doit y avoir une explication. Je sors de ma torpeur et me mets en quête d'un indice, d’un lieu, d’un bruit... n'importe quoi qui pourrait m'aider à comprendre comment j'ai atterri sur ce trottoir, dans un quartier que je ne connais pas et où les maisons semblent inhabitées.
J'enfourche mon vélo et pédale aussi vite que mes jambes me le permettent, me laissant guider par mon instinct pour tourner au hasard des rues. Au bout de ce qui me semble être un quart d'heure, je croise enfin quelqu'un. Une dame d'une cinquantaine d'années. A genoux, elle hurle et s'arrache les cheveux. Je veux m'approcher pour lui porter secours, mais elle s'enfuit en courant. Dois-je la suivre? Après une infime hésitation, je me lance à sa poursuite jusqu'à un carrefour où je m'arrête net, tétanisée.
Devant moi s'offre un spectacle chaotique. Des gens courent dans tous les sens, à l'instar de l'inconnue que je suivais et qui s'est noyée dans la foule. Certains crient, d'autres pleurent. Beaucoup se couvrent le nez et la bouche.
Cette fois, la panique me gagne. J'attrape par le bras une petite fille qui passe à côté de moi et lui demande, la voix tremblante, ce qui se passe. Elle se contente de me fixer avec un regard d'une infinie tristesse, et elle reprend sa course. Comme les autres.
Les larmes me montent aux yeux et finissent par couler sans que je ne puisse les contrôler. J'ai peur et je ne sais pas ce que je dois faire. Peut-être vais-je me mettre à courir en hurlant moi aussi? Je suis désorientée et je commence à déambuler sans but, demandant de temps à autre des explications aux personnes que je croise, sans jamais obtenir de réponse.
Soudain, mes yeux commencent à piquer, mon nez à chatouiller, ma gorge à gratter. Je ne sais pourquoi, mais c'est à ce moment précis que je reconnais où je suis. Ou plutôt que je comprends que je suis proche de chez Mia, une collègue de travail. Cette prise de conscience me donne l'espoir de pouvoir reprendre un tant soit peu le contrôle de mes actes et de mes émotions. Je m'y accroche comme une bouteille à la mer et fonce chez Mia, après avoir pris soin de me couvrir le nez. Je la trouve afférée avec son mari, à préparer des sacs de linge et de nourriture.
Essoufflée par ma course, je parviens à articuler la question que je répète depuis plus d'une heure maintenant : "Mia, qu'est-ce qui se passe?". Elle ne semble pas surprise de me voir débarquer et me répond, tout en continuant à empiler des conserves : "t'es pas au courant? L'usine a explosé. Les produits chimiques qui se répandent dans l'air rendent les gens fous, il faut partir d'ici, et vite!"
Sa réponse me fait l’effet d’un uppercut en pleine tête. La peur surgit à nouveau à travers ma voix tremblotante. "Partir? Mais... pour aller où? C'est Bagdad dehors! Les gens courent partout, les voitures sont laissées à l'abandon, les enfants livrés à eux-mêmes..."
Mia s'arrête et me regarde. Elle me tient les mains avec un mélange de douceur et de fermeté : "à la radio, ils ont parlé de bus qui nous aideront à quitter la ville. On t'y emmène si tu veux, mais il faut partir MAINTENANT"
Son assurance m'apaise. Elle semble maîtriser la situation et c'est exactement ce dont j'ai besoin actuellement : d'une personne à qui faire confiance et qui me dicte ce que je dois faire. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, me voici assise à l'arrière d'une vieille 205, direction un bus qui est censé m'emmener... où ? Tout va trop vite. Tout est flou. J'angoisse et une question s'insinue dans mon esprit : est-ce que je vais mourir?
La vision des bus au loin me détourne de cette sombre pensée. Mia arrête la voiture. Nous nous ruons hors du véhicule et arrivons devant la porte du premier bus, encore fermée. Seules deux personnes sont devant nous. "Ouf", me dis-je. "Nous aurons une place et je serai bientôt loin de cet enfer". Mais je ne peux m'empêcher de penser que ces véhicules ne pourront accueillir toute la ville et je m'inquiète du sort réservé à toutes celles et ceux qui resteront bloqués ici.
J'en suis là de mes réflexions quand Mia se met à répéter, doucement d'abord, puis de plus en plus fort, qu'elle doit aller à la voiture "le chercher". Nous nous regardons avec son mari Noah. Je perçois l'inquiétude dans son regard. Il lui demande de qui elle parle. Elle semble ailleurs et hurle qu'elle ne peut pas partir sans "lui". Nous ne comprenons pas de quoi il s'agit et nos tentatives désespérées pour la calmer se révèlent infructueuses. Elle fonce vers la voiture. Noah la suit et me supplie de leur garder une place. Je fais de mon mieux, mais l'animosité autour de moi est palpable.
Un homme arrive. A l'expression qu'il arbore, je devine qu'il dispose d'informations que nous n'avons pas et qu'elles ne sont pas encourageantes. Il porte des lunettes comme celles qu'ont les scientifiques dans les films et revêt une sorte de combinaison. Un masque lui couvre le nez et la bouche. Il se faufile à travers la foule, brandissant un badge. Lorsqu'il arrive à mon niveau, je l'identifie comme le chauffeur du bus. Les portes vont s'ouvrir, Mia et Noah ne reviennent pas. Je crie leurs noms désespérément. Rien.
Les portes s'ouvrent, les gens se précipitent, les sièges se remplissent à la vitesse de la lumière. Après un dernier appel sans réponse, mon instinct de survie me pousse à l'intérieur du bus. Nous démarrons. Certains passagers se laissent emporter par le bruit du moteur et s'endorment, épuisés par cette matinée d'horreur.
Moi, je suis progressivement envahie par la honte et la culpabilité. J'ai laissé Mia et Noah alors qu'ils m'ont aidée sans hésiter. Quel genre de personne suis-je? Je pensais être généreuse, attentive aux autres, solidaire... Il faut croire que les situations d'urgence révèlent la vraie nature des êtres humains. Celle que je découvre de moi ne me plaît pas et j'éclate en sanglots. Le bruit de mes pleurs se mêle à celui d'une musique. Lointaine d'abord... puis de plus en plus forte. C'est une ballade à la guitare. Cette mélodie ne m'est pas inconnue, mais je ne parviens pas à retrouver à quoi elle me fait penser jusqu'à ce que... MON REVEIL! C'EST MON REVEIL!
Je n'ai jamais été aussi contente de l'entendre sonner celui-là. Mon cœur bat la chamade. Je ne réalise pas encore que je suis sortie du sommeil. Je me décide à ouvrir les yeux. Un rapide coup d'œil autour de moi me confirme que je suis bien dans mon lit. Je pousse un long soupir de soulagement avant de me lever, encore à moitié endormie et chamboulée par cet horrible cauchemar. Mon esprit me transporte parfois dans des scénarios dignes de super productions hollywoodiennes.
Je me lève, fais un câlin à mon chat et allume la télé. J'ai pris l'habitude d'écouter les informations avant de partir travailler. La voix du journaliste annonce : "Nous venons d'apprendre que l'enceinte en béton qui protège le coeur du réacteur de la centrale nucléaire de Carvallée est fissurée. Si vous habitez dans la région, courez à la pharmacie la plus..."
Je n'écoute pas la fin. Je me précipite, livide, à ma fenêtre. Je tire les rideaux et regarde dans la rue : mon cauchemar est devenu réalité.
Quelle belle écriture j'adore c'est très prenant
RépondreSupprimerMerci beaucoup Nolwenn, je suis très touchée de ton commentaire 😊 Sarah.
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